LA FIN DU BARÈME DES INDEMNITES PRUD’HOMALES.

Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait notamment pour objectif de simplifier les règles qui entravent l’activité économique et renforcer les capacités de créer, d’innover et de produire.

Ce projet prévoyait à l’article 266, un barème et un plafonnement des indemnités en cas de licenciement invalidé selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise.

Dans une décision du 05 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré cet article.

Dans une décision du 05 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré cet article au motif que le critère lié à la taille de l’entreprise est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi dès lors qu’il ne présente aucun lien avec le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi :
« Considérant qu’en prévoyant que les montants minimal et maximal de l’indemnité accordée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont fonction croissante des effectifs de l’entreprise, le législateur a entendu, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée, assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche ; qu’il a ainsi poursuivi des buts d’intérêt général ;
Considérant toutefois, que, si le législateur pouvait, à ces fins, plafonner l’indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ; que, si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est ainsi en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise ; que, par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d’égalité devant la loi
 » [1].

Monsieur Macron, alors Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique prenait acte de la décision du Conseil, en retenant que le principe même de plafonner les indemnités prud’homales poursuit un but d’intérêt général [2].

C’est donc fort de cette décision que l’ancien Ministre et actuel Président de la République a préparé un nouveau texte qui se substituera au référentiel indicatif d’indemnisation qui a été mise en place par un décret du 23 novembre 2016 dont la force et sa faiblesse tiennent probablement en ce qu’il est facultatif et nécessite l’accord des parties au procès [3].

En toile de fond l’intérêt général qui n’est pas motivé par le Conseil constitutionnel. Quant au Gouvernement, celui-ci évoque des arguments qui sont critiquables.

Quoi qu’il en soit, maintenant, les parties n’auront plus le choix facultatif d’un barème d’indemnisation et le procès prendra une dimension nouvelle, au risque d’un mauvais scénario pour l’ensemble des parties au procès.

I. Une mesure d’intérêt général et ses limites.

La mesure n’est pas nouvelle, elle est une revendication patronat depuis de nombreuses années. Ces derniers ne cessent de dénoncer l’insécurité juridique subie par les dirigeants de PME face à des décisions prud’homales qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur la politique de l’entreprise voir sur sa survie. Pour autant, il n’est pas certain que le nouveau texte soit un remède à la maitrise du contentieux.

Un risque de prolifération du contentieux.

Le leitmotiv fixé par le projet de loi initial est notamment la croissance et l’emploi.

Diminuer le contentieux judiciaire est il synonyme de plein emploi ?

Oui, diront ceux qui défendent la thèse de l’insécurité juridique comme frein à l’embauche. Ainsi, le montant des condamnations prononcées par les Conseils de prud’hommes serait exorbitant et pousserait certaines entreprises à ne pas embaucher en CDI au vu du risque prud’homal.

Il est vrai que l’on constate une forte baisse des saisines sur le 1er trimestre 2017. Entre 40 % et 50 % de dossiers en moins au premier trimestre 2017 à Roubaix, 41 % à Paris, à Bobigny plus de 30 %, 40 % à Lyon… [4]

Néanmoins, nous n’avons pas encore assez de recul pour avoir un constat fiable. Il faut dire aussi que la complexité de la procédure doit amener certains salariés qui ont peu ou pas de moyens à saisir seul le juge. Certes nul n’est censé ignorer la loi, mais il faut être réaliste, un ouvrier n’a pas pour livre de chevet le Code du travail.

On peut aussi opposer une autre thèse qui consisterait à soutenir que les barèmes imposés par ordonnance pourraient également aller dans un sens de blanc seing pour certains « patrons ». On connaît par avance le risque financier à se séparer de tel salarié un peu trop revendicatif ou qui n’accepterait telle condition de travail, ce risque est gérable sur une période allant d’un an à 3, voir 4 ans.

Il est fort possible que l’on n’hésitera pas à se séparer plus facilement d’un salarié si « la facture » est supportable. Dans ces conditions, le règlement amiable des litiges risque de passer au second plan. Alors que l’on pouvait avoir un intérêt financier à régulariser un accord transactionnel compte tenu du risque financier à supporter par l’entreprise, on choisira davantage le parcours judiciaire qui pourra décourager la partie faible au procès dont les moyens financier et la patience aura des limites.

Au final, le nombre de contentieux n’est pas forcément en voie de diminution et le risque financier n’est pas pour autant maîtrisé à certains égards, ce d’autant que celui-ci pourra prendre une autre forme.

Les exceptions qui peuvent devenir la règle.

Il convient de rappeler que le nouvel article L1235-3-1 dispose que le barème “n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités” que la loi énumère.

Ainsi, il y n’y a plus de barème dans les hypothèses suivantes :

  • licenciement dans le cadre de la violation d’une liberté fondamentale,
  • faits de harcèlement moral ou sexuel,
  • licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice.
  • En matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes.
  • En cas de dénonciation de crimes et délits.
  • En raison de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé, ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés.

On comprend bien la tentation du salarié qui tentera par tous moyens de démontrer qu’il a été licencié abusivement dans le cadre d’un harcèlement moral ou bien de prendre acte de la rupture de son contrat pour le même motif.

Une piste intéressante également est celle du licenciement consécutif à une action en justice. Lorsque le salarié sent « le vent tourner » ou encore que ses conditions de travail sont devenus insupportables, celui-ci aura tout intérêt à prévenir, en saisissant la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire. Il aura à cœur de soutenir des griefs sérieux à l’égard de l’employeur qui s’ils sont accueillis auront pour conséquence de rendre le licenciement ultérieur nul. Certes, encore faut il que le licenciement soit postérieure, mais ce genre de situation n’est pas rare compte tenu de la détérioration de la relation de travail qui en est souvent la conséquence.

La Cour de cassation a eu l’occasion de se pencher sur un salarié qui avait été licencié notamment suite à une demande de résiliation judiciaire en retenant que sauf abus ou mauvaise fois, ce grief est constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement [5].

Sur un autre plan, il ne faut pas oublier que le contrat de travail se voit également appliquer les règles du droit civil, avec les sanctions dérogatoires des dispositions de l’article L 1235-3-1, en cas de non respect. C’est notamment le cas d’une exécution déloyale du contrat, d’une rupture vexatoire des relations contractuelles, d’un vice de consentement. Le salarié pourra solliciter des dommages et intérêts sur le fondement du nouvel article 1240 du Code civil.

Cette absence de maitrise du contentieux n’est pas le seul constat que l’on peut établir, car le « forfait indemnisation » est un bien mauvais scenario pour l’ensemble des parties au procès, du salarié, à l’employeur, en passant par le juge.

II. Un mauvais scénario pour les acteurs du procès.

Certains syndicats dénoncent « l’ubérisation » de la justice, estimant que l’on ne peut forfaitiser à la baisse le préjudice d’un salarié, partie faible du procès. Mais l’autre perdant de cette réforme risque d’être un acteur incontournable du procès : le Juge, en portant atteinte à son pouvoir souverain d’appréciation [6].

Une injustice pour le justiciable.

La publication de l’ordonnance du publiée au Journal officiel le 23 septembre 2017, instaurant un barème d’indemnisation s’impose au juge et supprime par la même le barème indicatif dont nous venons de parler. Cette fois ci, il n’est plus question de taille de l’entreprise, mais uniquement de l’ancienneté du salarié.

Plus votre ancienneté est importante, plus l’indemnité est revue à la hausse avec une marge d’appréciation qui est difficilement explicable. Prenons le cas d’un salarié qui a 30 ans d’ancienneté, le montant de son indemnité pourra osciller entre 3 et 20 mois !

Cette fois-ci nous dira l’actuel Président de la République, nous sommes en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel, puisqu’il n’y a plus de rupture d’égalité selon la taille de l’entreprise.

Il reste que le texte est plutôt contraire à la jurisprudence récente de la Cour de cassation s’inspirant fortement du droit de la responsabilité civile. Il est vrai que depuis avril 2016, tout devient affaire de préjudice.

Que pourra t-on dire d’un salarié qui aura été licencié abusivement après 3 ans de présence dans une entreprise et qui ne retrouvera pas de travail dans l’année ? Voir même en fin de droits ? La réponse de la justice est claire : vous avez le droit entre 3 et 4 mois d’indemnités.

A l’inverse, l’employeur est également en droit de critiquer la décision de justice qui le condamnera à régler la même indemnité dans le même cas d’espèce, alors que le salarié aura retrouvé du travail moins d’une semaine après la rupture de son contrat.

L’autre perdant de cette reforme c’est le juge qui aura certainement son mot à dire.

Un juge au rabais

Le juge dans tout cela ? Celui dont on dit qu’il a le pouvoir d’apprécier… Que devient ce rôle ? Acceptera t-il sans la moindre contestation d’appliquer à la lettre le texte ?

A l’heure où la Cour de cassation vient de rendre une décision quelques jours avant la publication de l’ordonnance, insistant sur le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond pour indemniser le non respect de la procédure de licenciement et la rupture abusive d’un contrat, les décisions à venir risquent de faire couler beaucoup d’encre [7].

La résistance de certains Conseils de prud’hommes et/ou de Cours d’appels va amener la Cour de cassation à prendre position sur le nouveau texte.

En attendant, les auxiliaires de justice que sont les avocats ou les défenseurs syndicaux seront ils amenés à plaider uniquement les griefs figurant dans la lettre de rupture, d’une prise d’acte ou d’une résiliation judiciaire et oublier le préjudice résultant ?

Pas forcément, car les stratégies à mener devant le juge commencent déjà à prendre place. Nous l’avons vu, le contentieux prud’homale risque de faire peau neuve et se reconcentrer sur d’autres demandes qui était peu ou pas soulevées jusqu’ici, mais l’on peut aussi se poser la question de savoir s’il ne faut pas appeler les juges à résister, à se dresser face à une justice imposée, sans débat, certes avec des concertations, mais pas de négociations à la mesure des enjeux.

Le bilan de cette ordonnance est plutôt négatif. Est ce à dire que nous allons assister à la fin du barème des indemnités prud’homales ?

Les hommes ne vivent pas que de justice, nous disait Albert Camus, mais sans justice, peuvent-ils vivre ?

Par Kamel Yahmi