UN NOUVEAU TRIBUNAL DES PRUD’HOMMES ?

Les premières juridictions prud’homales remontent au règne de Philippe Le Bel. En 1296, le conseil de la ville de Paris créa vingt-quatre prud’hommes et les chargea d’assister le prévôt des marchands et les échevins afin de juger, en dernier ressort, les contestations qui pourraient s’élever entre les marchands et les fabricants qui fréquentaient les foires et les marchés établis à cette époque.

C’est en 1806 sous Napoléon, que fut créée le Conseil de prud’hommes de LYON, celui de PARIS est né en 1845. Ainsi, au cours du 19ème siècle, le Conseil de prud’hommes prend sa place dans la paysage judiciaire et social français. A cette époque, 90 % des affaires font l’objet d’une conciliation. Le bon temps comme dirait l’autre…

Depuis, la donne a bien changé et la courbe s’est inversée, c’est plus de 90 % des affaires qui sont jugées avec des délais de procédure qui ne cessent de s’allonger.
Le Code du travail n’a cessé d’être remanié, doublant ainsi de volume depuis ces dernières années.

C’est dans ce contexte qu’en février 2014, Madame la Garde des Sceaux a confié au Président de Chambre à la Cour de Cassation, Monsieur Alain LACABARATS, le soin de réfléchir sur l’avenir de la juridiction prud’homale. Ne mâchons pas nos mots, l’idée d’un tribunal prud’homal était sous entendu.

Ce haut magistrat vient de déposer sa copie après avoir dressé un état des lieux de cette juridiction paritaire, en pointant notamment ses dysfonctionnements. Son rapport conclue à une quarantaine de propositions qui devraient animer les débats avec les partenaires sociaux.

Au delà même de la transformation de la juridiction, c’est une véritable réforme d’une grande ampleur que suggèrent les auteurs du rapport en renvoyant la procédure contentieuse dans son ensemble.

Un état des lieux alarmant…

Pour la presse, le constat est alarmant, mais pour ceux qui arpentent les couloirs des Conseils de prud’hommes, cela n’est pas une nouveauté.

De prime abord, la lenteur de la juridiction prud’homale a fait ses preuves !

Devant le Conseil de prud’hommes de BOBIGNY, il faut attendre en moyenne 2 mois pour obtenir une date d’audience en référés, qui pourtant relève de l’urgence. Pour ce qui est des audiences en bureau de conciliations, pas avant plusieurs semaines devant certains Conseils de prud’hommes pour pouvoir concilier, et ne parlons pas du renvoi devant le bureau de jugement à plus d’un an qui tend à se généraliser…

Ne soyons pas trop pessimiste, après tout, il existe des procédures dites accélérées, où l’on passe directement devant la case jugement, c’est le cas de la requalification du ou des contrats à durée déterminées en contrat à durée indéterminée. Que dit l’article L1245-2 du Code du travail ? L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement dans le délai d’un mois, ce qui n’est plus le cas.

Pour une affaire qui suit le circuit classique (conciliation puis jugement), il faut compter environ un an et demi après la saisine.

Le calvaire n’est pas finit, car le justiciable doit encore patienter pour recevoir la notification du jugement. Selon les Conseils de prud’hommes, un délai d’attente de quelques jours à plusieurs mois est envisageable !
L’appel ? Vous n’allez pas y croire…Deux ans pour la juridiction parisienne.

Chacun l’aura compris, derrière cette première difficulté liée à la lenteur du rythme judiciaire, il y a des êtres humains qui ne peuvent s’en satisfaire car leur situation est parfois alarmante.

Prenons le cas d’un salarié qui n’a pas touché son salaire depuis 2 mois, qui ne peut saisir la formation des référés car la société vient de faire l’objet d’une procédure d’ouverture de redressement judiciaire. Celui-ci devra donc attendre l’audience du bureau de jugement pour pouvoir faire valoir ses droits, ce qui peut créer des situations irrémédiablement compromises.

L’employeur peut également être victime de cette lenteur. Une décision de première instance avec exécution provisoire, si elle est exécutée, peut causer un grave préjudice financier à l’entreprise, allant jusqu’à sa faillite.

Dans ce dernier cas, quelle sera la réjouissance d’avoir obtenu gain de cause en appel un an, voir deux ans après ?

Eh oui, avec le temps, va, tout s’en va…

Une procédure inadaptée

Le contentieux social n’est pas encadré comme il se doit. La procédure est orale et l’on se laisse à penser qu’il n’est plus nécessaire de communiquer son argumentation. Certains Conseillers vont jusqu’à rejeter une demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, car celle-ci n’a pas été plaidée !
Notons également que devant le Conseil de prud’hommes, il n’y a pas de mise en état, ce qui provoque souvent des incidents de procédure le jour de l’audience de jugement pour communication tardive des pièces.
A ce stade, il serait également opportun de prévoir une communication préalable des conclusions au Conseil, qui pourra connaître de l’affaire avant l’audience. Même si certaines affaires peuvent être jugées sur le siège, il n’en va pas de même pour des affaires comprenant des problématiques juridiques complexes.
Enfin, le bureau de conciliation qui a pour rôle de rapprocher les parties aux fins de trouver un accord amiable, ne joue pas son rôle. Seulement 5, 5% des affaires sont conciliées. Pour ceux qui n’auraient pas encore assisté à une procédure de conciliation, ne vous étonnez pas de sa rapidité (entre 5 à 10 minutes).

Une formation insuffisante des Conseillers prud’hommes

Sur ce point, on ne peut critiquer le constat de Monsieur LACABARATS. Il est vrai que la formation des Conseillers assurée par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs n’est pas suffisante, ce d’autant qu’elle n’est pas commune, ce qui est regrettable au regard de la collégialité au sein du Conseil.

Cette difficulté en cache une autre qui n’est pas des moindre, à savoir le nombre d’affaire rejugées en appel. Plus de deux affaires sur trois sont enregistrées au Greffe de la Cour, contre une sur cinq pour les jugements du Tribunal de Grande Instance.

Sur les affaires soumises à la Cour, 70 % sont réformées…

Des recommandations, oui, mais…

Les propositions de Monsieur LACABARATS vont dans le sens de la modernisation, même si des levers de drapeau sont à craindre.

La lenteur, une question de régions ?

Voilà que la carte judiciaire a été réformée il y a très peu de temps et que l’on parle déjà de revoir la carte des juridictions prud’homales sur la base des bassins de population et d’emploi. La difficulté à n’en pas douter est que l’on ne choisit pas son juge. Hormis l’option de compétence territoriale pour certains salariés, le principe est que l’on choisit le Conseil de prud’hommes du lieu du siège social ou du lieu de l’établissement. [1]

La mesure proposée risque donc d’être peu efficace. La solution est bien connue, mais elle coûte cher. Ce sont les effectifs qu’il faut augmenter, pas forcément les Conseils.

Les délais de traitement, une question d’organisation ?

C’est par l’affirmative, qu’il faut répondre à cette question et certaines mesures doivent être saluées, notamment :

  • Fixer les effectifs de juges en rapport avec le nombre de décisions à rédiger,
  • Permettre le regroupement des dossiers posant des questions similaires,
  • Rendre obligatoire devant la cour d’appel la représentation par avocat ou par défenseur syndical,

En effet, il n’est pas rare de constater que la répartition des contentieux est inégale au sein de chaque section du Conseil de prud’hommes.

Au delà même de regrouper des dossiers ayant la même problématique, il serait intéressant de concevoir une nouvelle organisation. Pourquoi ne pas envisager que le Conseil de prud’hommes soit composé de chambres spécialisées ?

L’avantage serait d’avoir des Conseillers formés, connaissant bien de la matière à juger.

Enfin, le rôle des parties est plus qu’importante dans le cadre d’une procédure judiciaire. N’oublions pas que le procès est la chose des parties. Introduire l’avocat ou le défenseur syndical obligatoire en appel, pourquoi pas ? Mais n’oublions pas la première instance. Bon nombre de procès sont reportés car le demandeur ou le défendeur n’a pas communiqué ses pièces à son adversaire, par méconnaissance de la procédure judiciaire, pour ne citer que cet exemple.

Une procédure judiciaire améliorée

La procédure prud’homale, qui nous l’avons vu, peut durer, doit pouvoir s’arrêter rapidement si l’on enrichit les pouvoirs du bureau de conciliation en matière de règlement amiable des litiges. Le rôle du bureau de conciliation sera donc d’inciter les parties à concilier, plutôt que de rester passif.

Toutefois, une conciliation n’est efficace que si les parties ont pris contact préalablement. Or, le jour de l’audience est le plus souvent le jour où l’on connaît le visage de son adversaire ou de son mandataire. Sur ce point, envisager la communication de pièces avant l’audience de conciliation peut être une piste intéressante.

Ceci étant dit, cela ne veut pas dire que les parties seront plus conciliantes.

La formation des Conseillers, un enjeu de taille

L’idée de délocaliser la formation des Conseillers auprès de l’Ecole nationale de la Magistrature ou encore de l’Ecole nationale des greffiers ainsi que cela a été proposé, n’est pas une idée révolutionnaire en tant que telle.

En revanche, proposer que les formations soient communes entre salariés et employeurs est une idée originale qui aura pour avantage de diminuer ce clivage qui fait défaut à la prud’homie.

Sur ce point, les choses sont dites et c’est heureux, les Conseillers sont là pour statuer avec impartialité et non pour représenter une organisation syndicale ou encore le patronat.

Les contrôles renforcés

Trois règles ont été proposées en ce sens :

  • Fixer des principes déontologiques analogues à ceux des juges professionnels,
  • Prévoir une procédure disciplinaire comparable à celle des juges professionnels,
  • Faire du Conseil supérieur de la prud’homie l’organe statutaire des juges prud’homaux.

Il est vrai que les audiences devant le Conseil de prud’hommes sont quelque fois, pour ne pas dire, souvent animées. Certains avocats ou délégués syndicaux vous diront que cela fait tout le charme de cette juridiction.

Pour autant, le respect d’une certaine déontologie ne pourrait qu’améliorer le déroulement des audiences et des relations entre les différents acteurs du monde judiciaire.

L’échevinage, un remède ?

Jean Claude MAGENDIE nous dit qu’il est temps de rebâtir le système :
« Le passage du paritarisme à l’échevinage, lequel s’applique en Alsace Moselle, permettrait de sauvegarder l’aspect “confrontation des intérêts” par la présence d’un employeur et d’un salarié élus au sein de la formation de jugement présidée par un juge professionnel ; ce système pourrait être transposé au niveau des cours d’appel. » [2]

Cette idée n’est pas à écarter, sauf que l’on doit tirer les leçons du passé, notamment lorsque le législateur a souhaité instaurer un juge professionnel au sein des juridictions consulaires ; le résultat : grèves, démissions en cascades et le projet a été classé dans les tiroirs. [3]

Il reste à voir si les organisations patronales et syndicales réagiront de la sorte.

Par KAMEL YAHMI